Même si le projet de loi insiste dans plusieurs articles sur l’obligation d’informer et de consulter les citoyens, ces articles servent de paravent pour masquer le fait que les citoyens perdent leur pouvoir décisionnel au profit des conseils municipaux. L’article 82 du projet de loi stipule, en effet, que «le plan d’urbanisme peut délimiter toute partie du territoire de la municipalité que le conseil juge devoir prioritairement faire l’objet de rénovation urbaine, de réhabilitation ou de densification, qu’il définit en tant que zone franche d’approbation référendaire et à l’intérieur de laquelle aucune modification réglementaire ne sera sujette à l’approbation référendaire».
Le problème est qu’il n’existe aucune restriction aux zones franches. Elles peuvent s’appliquer partout, y compris dans des arrondissements historiques et naturels. Cela implique que la Ville de Montréal a dorénavant le feu vert pour faire ce qu’elle veut, y compris privatiser le mont Royal.
Zones franches
Les membres du Rassemblement pour la sauvegarde du 1420 boulevard Mont-Royal sont engagés depuis plusieurs années déjà dans une lutte pour protéger le patrimoine bâti sur le mont Royal. Ils se sont opposés dès le début à la décision unilatérale de transformer le 1420 Mont-Royal en un immeuble de condos de luxe. Ils estimèrent que puisque le mont Royal appartient aux Montréalais, c’est à eux de décider de la vocation des immeubles patrimoniaux qui s’y trouvent. Ils s’opposent donc au changement de zonage du 1420, effectué par la Ville de Montréal sans processus d’approbation référendaire.
Lors des audiences en commission parlementaire sur l’étude de l’avant-projet de loi à l’origine de l’actuel projet de loi 47, tenues au printemps et à l’été 2011, ils firent entendre leur voix et exigèrent du ministère des Affaires municipales qu’il empêche l’application des zones franches dans les arrondissements historiques et naturels. Or, le projet de loi reprend mot à mot les principes énoncés dans l’avant-projet de loi et n’impose aucune exception à l’application du concept de zone franche.
Les enjeux
Le ministre Lessard s’était montré ouvert à notre proposition d’exclure les arrondissements historiques et naturels des zones franches. Mais il a finalement cédé au lobby des maires Labeaume et Tremblay.
Les villes ont un tel besoin d’argent et le gouvernement du Québec a tellement intérêt à ne pas investir davantage au niveau municipal, que les deux ordres de gouvernement sont prêts à brader systématiquement le patrimoine bâti au profit du secteur privé pour augmenter les revenus d’impôt foncier des municipalités. Et ils sont prêts à contourner la démocratie municipale pour parvenir à leurs fins.
Pour Montréal, la conséquence immédiate de l’article 82 est notamment l’atteinte à l’intégrité du mont Royal. Le scénario du mont Orford est en train de se répéter. Va-t-on cette fois-ci laisser faire le gouvernement Charest?
Un propos alarmiste?
Il ne faut pas croire que notre propos soit alarmiste, car le processus est déjà enclenché. Après la privatisation du bâtiment ayant abrité le collège Marianapolis, il y a le cas contesté du 1420 boulevard Mont-Royal, que l’Université de Montréal veut vendre au groupe Catania pour en faire un immeuble à condos de luxe. On peut en outre craindre que l’hôpital Royal Victoria soit transformé lui aussi en complexe de condos réservé aux plus riches de la société. On doit enfin ne pas exclure la possibilité que la Faculté de musique et la salle Claude-Champagne soient à leur tour privatisées.
Il n’y a qu’à consulter le Plan directeur des espaces de l’Université de Montréal (2008). Pour la direction de l’université, «le scénario de la construction d’un nouveau pavillon pour la Faculté de musique sur le site Outremont serait une hypothèse envisageable». On pourrait ainsi se départir de la Faculté de musique et de la salle Claude-Champagne. En effet, dans la phase 3 du Plan directeur, la direction de l’Université de Montréal fait disparaître ces deux bâtiments de l’ensemble des composantes du campus de l’Université de Montréal.
En bref, si le projet de loi 47 est adopté tel quel, les changements de zonage pourraient être effectués partout sur la Montagne sans approbation référendaire et au profit d’entrepreneurs privés. Alors que les étudiants confinés dans des chambres de résidence devront faire face à des droits de scolarité de plus en plus élevés, la ceinture du mont Royal deviendra un habitat pour une faune de riches qui finira par clôturer la montagne et la rendre inaccessible.
Une politique incohérente
Le fait d’autoriser des zones franches dans les arrondissements historiques et naturels va à l’encontre de la Charte de la Ville de Montréal, qui stipule à l’article 89,1 qu’un bien culturel reconnu ou classé dont le site envisagé est situé dans un arrondissement historique ou naturel est susceptible d’approbation référendaire.
Cela va aussi à l’encontre de la double désignation d’arrondissement historique et naturel comme indiqué dans le décret adopté le 9 mars 2005. Par ce décret, le gouvernement du Québec voulait protéger le patrimoine bâti, paysager, artistique, funéraire, commémoratif, archéologique et ethnohistorique que le mont Royal recèle.
Cela va ensuite à l’encontre de la loi 82, qui vise à protéger les «immeubles patrimoniaux» ainsi que le «patrimoine immatériel».
Les zones franches pourraient même rendre légales des situations de zonage parcellaire (spot zoning) que la jurisprudence avait jusqu’à présent déclaré illégales.
Péril en la demeure
L’attribution du statut d’arrondissement historique et naturel au territoire du mont Royal entraîne des obligations pour les citoyens et les citoyennes. Ceux-ci doivent se mobiliser pour empêcher la privatisation unilatérale du mont Royal effectuée sans processus d’approbation référendaire.
S’il n’est pas amendé pour interdire l’application des zones franches aux arrondissements historiques et naturels, nous demandons le retrait pur et simple de l’article 82 du projet de loi 47. L’enjeu est notamment de préserver tous les accès au mont Royal et d’empêcher que l’on grignote le territoire de l’arrondissement historique et naturel qui est un bien collectif.
Nous sommes les indignés d’une politique gouvernementale qui sabote les principes du développement durable et de la préservation du patrimoine. Nous faisons appel aux organismes qui ont à coeur ces principes pour qu’ils se joignent à nous.
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Ont signé ce texte: Micheline Cabana, Louis Dumont, Pierre Labelle, Jean-Claude Marsan, Michel Seymour et Daniel Turp, tous membres du Rassemblement pour la sauvegarde du 1420 boulevard Mont-Royal.
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jeudi 5 janvier 2012 21h55Des effets pervers? plutôt l’effet recherché !Une fois la « colonisation » de la montagne complétée, il sera impossible de revenir en arrière. Il s’agit ici d’un article important et fort pertinent. Après les assauts répétés de nos universités McGill et Montréal puis des hôpitaux universitaires; les pistes de randonnées se limiteront qu’à un simple tour du lac des Castors pour les autobus et les marchettes. Partout, d’Anticosti au Mt-Royal, nous avons un don pour saccager ce qui est beau et fragile au Québec !