Le blogue aime le courrier, vous le savez. Cette fois, la ministre québécoise de l’Immigration, Mme Kathleen Weil, a cru bon de prendre la plume, après avoir pris connaissance d’une chronique portant sur son travail.
Je vous l’offre avec mes remarques entrelardées:
Une chronique de M. Jean-François Lisée, dans laquelle celui-ci exprime ses inquiétudes quant à l’incidence de l’immigration sur l’avenir du français au Québec, me fournit l’occasion de rappeler la politique et les récentes actions du gouvernement à cet égard.
Conscient de l’absolue nécessité d’assurer la pérennité du français au Québec, le gouvernement a placé le maintien de la vitalité de la langue française au cœur de sa politique d’immigration. Nos actions à cet égard se situent sur deux plans. Au chapitre de la sélection, nous nous employons à optimiser le nombre et la proportion des immigrants connaissant le français. Les résultats sont probants : la part des immigrants connaissant le français à leur arrivée au Québec est passée de 47 % en 2001 à 65,1 % en 2010. Dans la catégorie des travailleurs qualifiés, cette proportion atteint 90 % pour ce qui est du requérant principal, c’est-à-dire la personne qui fait l’objet de la sélection. Soulignons par ailleurs que, parmi les immigrants ne connaissant pas le français, plus de deux personnes sur cinq sont des enfants qui, en vertu de la Charte de la langue française, seront scolarisés en français.
Comme vous le savez, Madame la ministre, le Vérificateur général a, l’an dernier, mis en doute la totalité de ces chiffres. Ayant tenté de vérifier si les candidats retenus avaient effectivement une connaissance du français, il a du constater que dans la moitié des dossiers, il était impossible de tirer cette conclusion. Les chiffres que vous présentez n’ont par conséquent aucune crédibilité.
Au chapitre de la francisation des immigrants adultes, le Québec a, depuis 2008, considérablement accru et diversifié son offre de services, de manière à franciser plus tôt, davantage et mieux. Cette offre comprend une gamme étendue de cours, à temps plein et à temps partiel, qui sont suivis dans des établissements scolaires francophones, dans des organismes communautaires, dans les milieux de travail, ou en ligne. Ces efforts de francisation se déploient dès l’étranger, au moyen notamment du programme de francisation en ligne et grâce aux ententes que nous avons conclues, dans 27 pays, avec 97 partenaires, dont des Alliances françaises, auprès desquels les candidats sélectionnés peuvent entreprendre leur francisation avant même leur arrivée au Québec.
Vous m’en voyez ravi, Mme la ministre. Mais vous n’êtes pas sans savoir que cette action est encore nettement en retrait des exigences linguistiques de plusieurs nations européennes qui sont dans une situation linguistique beaucoup moins fragile que le Québec.
Une de nos mères patries, le Royaume-Uni, exige désormais une connaissance de base de l’anglais de chaque candidat régulier à l’immigration. Cette condition est éliminatoire. Cela signifie qu’un travailleur immigrant qui ne peut, avant d’arriver au Royaume-Uni, démontrer sa connaissance de l’anglais n’obtiendra pas de visa. Il ne me semble pourtant pas avoir lu que la situation de l’anglais à Londres était plus précaire que celle du français à Montréal.
En outre, des cours spécialisés, visant à préparer les immigrants au marché du travail, sont offerts dans les domaines de la santé, du génie et de l’administration. Tous ces cours sont gratuits et plusieurs sont assortis d’allocations. En 2010-2011, près de 28 000 immigrants ont eu recours aux services de francisation du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, ce qui représente une augmentation de plus de 53 % en trois ans.
Encore des bonnes nouvelles, Mme la ministre. Mais vous taisez les hauts taux d’absentéisme, de décrochage et d’échec qui sont monnaie courante dans ces cours. Et vous ne pouvez ignorer que plusieurs nations européennes sont beaucoup plus exigeantes (et généreuses) en rendant les cours de langue obligatoires. (Voir notamment l’étude comparative du juriste José Whoerling ici – pdf.)
Au surplus, les tests standardisés de français, qui sont déjà utilisés pour la sélection des immigrants depuis quelques années, ont été rendus obligatoires en décembre 2011.
Voila la grande nouvelle que vous nous annoncez. Jusqu’alors, seulement 2% des candidats devaient passer ces tests. Maintenant, ce sera le cas de tous les candidats au statut de travailleur qualifié. Nous saurons donc pour la première fois avec certitude, si les données sont rendues publiques, quelle est le véritable niveau de connaissance du français de ce segment d’immigration. Ce n’est pas trop tôt et je vous en félicite (et je note au passage qu’il est rétrospectivement ahurissant de constater qu’aucun gouvernement péquiste précédent n’a agi de la sorte).
Cependant vous n’annoncez pas que l’échec des candidats à ce test conduira à un refus de leur dossier, jusqu’à ce qu’ils le repassent quelques mois plus tard après un nouveau séjour à l’Alliance française. C’est dommage car la dégradation de la situation du français à Montréal ne nous permet plus un tel laxisme.
Ces efforts sur le plan de la sélection et sur celui de la francisation, qui se conjuguent aux effets de la Charte de la langue française, portent leurs fruits. Les données du recensement de 2006 révèlent notamment que, parmi les immigrants admis au Québec entre 1996 et 2006 dont la langue parlée à la maison est autre que leur langue maternelle, plus de 75 % ont choisi le français. Toujours selon les données de 2006, 78 % des personnes immigrées présentes au Québec connaissaient le français, et 65 % déclaraient le français comme langue le plus souvent utilisée au travail.
Tout est vrai dans ce que vous dites, chère ministre. Mais vous n’ignorez pas que les 75% d’immigrants récents choisissant le français s’obtient en soustrayant les non-francophones que nous avons accueilli et qui sont ensuite partis ailleurs. Vous n’ignorez pas que lorsqu’on combine ce 75% d’immigrants récents ayant choisi le français à tous les immigrants antérieurs, la proportion de ceux qui passent au français tombe à 51% — alors qu’il en faudrait 88% pour assurer le maintien de l’équilibre linguistique actuel entre la majorité francophone et la minorité anglophone.
Finalement vous n’ignorez certainement pas que ces chiffres ont peu d’importance, car si ces transferts linguistiques sont un référendum sur le français et l’anglais, on doit à la vérité d’indiquer que le taux de participation est exécrable. Seulement 38% des allophones font ce transfert. Donc, 62% gardent leur langue d’origine à la maison. C’est énorme.
En novembre 2011, j’ai annoncé les orientations adoptées par le gouvernement à la suite de la récente consultation publique sur la planification de l’immigration pour la période 2012-2015. Ces orientations prévoient notamment que les volumes d’immigration seront ramenés à 50 000 admissions par année et que les exigences relatives au niveau de connaissance du français chez les candidats de la catégorie des travailleurs qualifiés seront augmentées. J’ai bon espoir que ces orientations, qui ont recueilli un large consensus lors de la consultation publique, feront en sorte que l’immigration continue non seulement de contribuer au dynamisme économique et démographique de la société québécoise et à l’enrichissement de son patrimoine socioculturel, mais également à la vitalité du français au Québec.
Ô combien j’aimerais, chère ministre Weil, que vous ayez raison. Cependant peut-être avez vous entendu parler de cette étude de l’Office de la langue française concluant que la composition linguistique actuelle de l’immigration allait conduire inexorablement à une minorisation du nombre d’habitants de l’île de Montréal qui ont le français comme langue première, au cours des quelques années qui viennent.
Le phénomène déborde aussi sur les banlieues. Cette certitude en entraîne deux autres: l’affaiblissement de l’attractivité du français et de la volonté de défense de la langue française.
Votre politique de forte immigration, dont les impacts économiques et démographiques présumés positifs sont fortement contestés par les travaux récents réalisés un peu partout en Occident sur l’effet de l’immigration, ne font qu’alimenter ce mouvement de fragilisation. La seule politique susceptible de mettre un cran d’arrêt à ce déclin serait la décision de favoriser massivement les candidats à l’immigration qui ont le français comme langue première au point d’entrée, et qui au surplus répondent spécifiquement aux besoins du marché de l’emploi. Cela réduirait, certes, les niveaux d’immigration. Mais cela assurerait à la fois un réel ressourcement de la majorité francophone et un réel succès d’intégration des immigrants choisis.
Réécrivez-moi lorsque vous en serez là.
Kathleen Weil
Ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles
Très cordialement,
Jean-François Lisée
19 commentaires à “
La ministre de l’Immigration nous écrit. On lui répond.
”
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Immigrant pure laine :
février 8, 2012 à 12:44Monsieur Lisée:
Rassurez-vous, les immigrants, comme vous dites, ne sont pas une menace à la sécurité linguistique et identitaire de la société québécoise. Beaucoup d’entre elles et d’entre eux maîtrisent même mieux la langue de Molière et de Tremblay que la moyenne de la population.
Aussi sont-ils, sont-elles, bien moins en tout cas que les néo-nazis qui s’insèrent de plus en plus dans les interstices de la pensée au Québec (au fait pourquoi “néo” et pas “nazis” tout court?) Et, malgré votre verbomotricité calculée, vous n’en dites rien. Étrange silence.
Signé: un immigrant pure laine.
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Karine Tremblay :
février 8, 2012 à 12:12De ce côté, ce qui intéresse le PLQ, ce n’est pas la pérennité du français chez nous, ni l’intégration harmonieuse des immigrants. Non, c’est avant tout d’augmenter le nombre de comtés sûrs où Anglos et Allos votent massivement libéral.
Les chiffres lancés et trafiqués par les libéraux ne sont qu’écrans de fumée et poudre aux yeux pour nous distraire et nous faire croire qu’ils agissent pour la masse, alors que le leitmotiv caché derrière tout ça a toujours été : «les copains d’abord» (les copains ‘libéraux’, s’entend…!)
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Pierre Lambert :
février 8, 2012 à 12:00Les libéraux ne feront jamais cela. Dans quinze ans, il faudra près des deux tiers des francophones du Québec pour obtenir un référendum gagnant pour la souveraineté au lieu du 6o% nécessaire en 1995. Les fédéralistes le savent.
Les péquistes le savent, mais ils ont peur de passer pour xénophobes et racistes en faisant quoi que ce soit pour changer réellement les choses. Les souverainistes auront été les fossoyeurs du pays possible en n’osant pas changer les choses lorsqu’ils étaient au pouvoir. Alors, continuons à vouloir naïvement “faire le ménage”, à s’occuper des “vraies affaires”, à reporter le prochain référendum aux calendes grecques. Pendant qu’on dort, les fédéralistes, eux, administrent la dose létale.
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Ouhgo :
février 8, 2012 à 11:04Au lieu de finasser ainsi, le gouvernement du Québec, nation à forte majorité française, ne devrait-il pas rendre le français nécessaire à tout immigré en s’affairant à appliquer la charte de la langue française à tous les employeurs, rendant obligatoire l’usage du français au travail? Québec français! ‘n’derstand?
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jmaig :
février 8, 2012 à 10:32Dialogue à la canadienne:
On échange, on discute, on propose sur des questions complexes mais que de temps perdu, diront certains de l’autre côté de l’Atlantique.Côté Paris, on affirme, on fait monter la sauce avec les media pour aboutir au clash final et au départ d’une partie des Députés de l’Assemblée nationale, en séance.
Si cela continue, j’émigre au Canada (mais je suis un peu âgé pour cela) en gardant l’adresse de ce blogue, à toutes fins utiles.
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Trebor :
février 8, 2012 à 10:26Le français comme langue de travail doit être officialisée, sinon l’anglais, cette langue toute croche (un fait ressenti jusque dans les muscles de la bouche) au sonorité rappelant le barbarisme (les sauvageries, les cris magnifiés dans la musique populaire anglo-saxonne) sinon nos origines primitives (Ouh ! Ouh ! Ouh ! Ouar ! Ouen ? Ouèr ? Ouai not ! Ouao ! . . . Ouèlt !!!), cette dite ‘‘linegOuég’’ se collant bien aux facilités de la vie conditionnée, aux paresses physiques et intellectuelles créées par les technologies de l’électronique, se collant bien à l’ignorance institutionnalisée à base d’idiOlogies issues de la bêêêêtise, des idiOlogies très favorables à un monde hiérarchisé (sous un djeu introuvable) aux relents de l’aristocratie infiniment gloutonne enfin, cette dite langue a un pouvoir d’attraction puissant, bien enraciné dans la nature subjective de l’individu, l’animal se justifiant par rapport au chef du troupeau, l’animal se conformant instinctivement pour la survie de l’espèce, l’animal se fortifiant, se pensant plus fin en se soumettant(entendre ici de l’auto-esclavage bête), « l’humal » se ‘‘croyant’’ ainsi faire partie du groupe au pouvoir tout en n’étant qu’un consommateur conformiste ‘outrancier’ à l’esprit totalement lessivé. Ouao !
Uniquement le fait qu’on entende dire allègrement que la langue anglaise est supérieure à la française, confirme la forte tendance à l’obscurantisme, à l’ignorance crasse.
Est-ce que cette affectation très malheureuse aurait atteint nos dirigeants obnubilés par le matérialisme destructeur de l’écosystème terrestre ? . . . .
Je m’oppose à cette tendance actuelle du nivellement par le bas en faveur d’une très petite minorité, celle d’un pouvoir dictatorial niant l’Égalité des Droits et Libertés, imposant la loi de la jungle au détriment de la Justice humaine. Je m’oppose au ‘‘Grand Frère’’, à la domination, là !
Vive le Québec . . .Libéré du pouvoir ‘Ouasp’ et totalement Souverain sur son territoire terrestre, sans djeu ni djable !
Vive la langue française ! Vive la Liberté !!! (dehors john-james/kathleen, dehors les anglais, de NOTRE gouvernement)
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Youlle :
février 8, 2012 à 10:18“Ces efforts de francisation se déploient dès l’étranger…
…au moyen notamment du programme de francisation en ligne et grâce aux ententes que nous avons conclues, dans 27 pays, avec 97 partenaires, dont des Alliances françaises, auprès desquels les candidats sélectionnés peuvent entreprendre leur francisation avant même leur arrivée au Québec.”
Bien oui on leur apprend par les internets à dire oui, non, bonjour et merci, s’il vous plaît étant trop difficile et hop tout à coup Pour Les Libéraux, ils maîtrisent le français cé cé, cé bien simple ils parlent le bilingue fluents en arrivant.
La réalité est tout autre, devenus ainsi bilingue ils peuvent facilement franchir les douanes canadiennes et choisir par la suite la langue qu’ils utiliseront dans la vie.
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Nicolas Paillard :
février 8, 2012 à 9:49Vos critiques sont toujours bien appuyées de sources pertinentes. J’adore!
Contrairement à la tendance actuelle en politique, vos cherchez à éveillez l’électeur au lieu de l’endormir.
Merci!
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Christiane Dupont :
février 8, 2012 à 9:43Mme la ministre a une belle plume…et vous avez du répondant. Pour avoir eu, parmi mes proches, quelqu’un qui travaillait au ministère de l’Immigration et qui devait étudier les dossiers de candidats à l’immigration chez nous, (notamment des immigrants investisseurs étrangers, ou des immigrants avec une spécialité professionnelle en forte demande ici), le critère de la langue n’ÉTAIT PAS éliminatoire. Tout au plus lui donnait-on un pointage faisant partie d’un ensemble d’autres critères. Désolant.
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Langue – La ministre de l’Immigration nous écrit. On lui répond. | Le blogue de Jean-François Lisée.
février 8, 2012 à 15:03
Comme le mentionne si bien «immigrant pure laine » dans un de vos commentaires précédents, je tiens à souligner également le succès et la justesse des propos de la ministre, madame Weil. En effet, je fus de la première vague d’immigrants de cadre français venu au Québec récemment afin de faciliter l’embauche et l’immigration des jeunes par la formule rapide des permis de séjour vacances travail. Maintenant, à titre de cadre, je n’embauche plus majoritairement que des jeunes venus de mon pays d’origine car ces deniers au moins savent écrire et ils s’expriment mieux en français. Ils constituent ainsi un meilleur réservoir d’employés potentiels. Pour ce qui est du néonazisme ou du racisme rampant contre les Français, votre lecteur a tout à fait raison et c’est pourquoi nous avons choisi d’habiter le secteur ouest de Montréal.
Immigrant «pure petite laine»